L’agrivoltaïsme : un atout pour l’adaptation de l’agriculture biologique ?

A l’approche de l’été, les solutions pour s’adapter à la sècheresse se multiplient dans nos régions. L’agrivoltaïsme se développe très fortement pour répondre aux nouveaux besoins de l’agriculture. Décryptage d’une filière qui pose question au réseau des agriculteur.ice.s biologiques.

A quels besoins peut répondre l’agrivoltaïsme en France métropolitaine ?

Le changement climatique fait émerger de nombreux défis. Le secteur agricole est émetteur de gaz à effet de serre, et doit réduire son impact (19% des émissions du sol Français selon le Haut Conseil pour le Climat, en 2021).

L’agriculture subit à la fois de plein fouet les dérèglements du changement climatique, mais doit aussi s’y adapter pour garantir une production alimentaire de qualité. La France a émis des objectifs ambitieux de réduction d’émission de gaz à effet de serre, en souhaitant atteindre la neutralité carbone (zéro émissions nettes de gaz à effet de serre) et diviser par deux la consommation d’énergie finale d’ici 2050 ; ainsi qu’en réduisant la part du nucléaire et augmentant celle des énergies renouvelables (EnR) dans le mix énergétique. La Programmation Pluriannuelle de l’Énergie (PPE) donne des orientations générales pour le développement des EnR en France à l’horizon 2028. Il faudrait que la production d’électricité renouvelable passe de 53 GW au 31/12/19 à 72 GW en 2023 puis à 100-112 GW en 2028.

Le développement du photovoltaïque (PV) sur terrain agricole répond donc à un besoin de transition énergétique vers la production d’électricité renouvelable.

La dernière Contribution du Groupe de travail I au sixième Rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a décrit trois scénarios climatiques à l’aune des conditions socio-économiques. Il rapporte que la vulnérabilité des systèmes agricoles sera plus forte et ce qu’importe le scénario climatique sur lequel on se base avec une quasi-linéarité entre émissions CO2 (Gt) et réchauffement climatique.

En substance, ce rapport fait état de plusieurs grandes menaces climatiques, alarmantes pour la production agricole telle qu’elle est faite aujourd’hui. Les puits de carbone que représentent les océans vont s’affaiblir et devenir moins efficaces, les variations de températures influenceront l’ensemble des variations climatiques. Les évènements climatiques extrêmes vont s’intensifier et devenir de plus en plus fréquents (vagues de chaleurs, précipitations et inondations, en particulier en Europe, sècheresses).

Ce même rapport conclue également que les trajectoires à très faibles émissions de gaz à effet de serre (GES) peuvent renverser les tendances actuelles et favoriser un réchauffement global d’1,5 à 2°C.

Les productions agricoles sont soumises à de fortes variations climatiques et doivent s’y adapter. La couverture des parcelles agricoles par les panneaux photovoltaïques permettrait d’ombrager les cultures et animaux, d’économiser de l’eau tout en produisant de l’énergie renouvelable.

Enfin, le taux de pauvreté parmi les agriculteurs était de 22,7% en 2019 selon l’INSEE. La production d’énergie renouvelable peut être vu comme un complément de revenu pour les agriculteurs.

La filière agrivoltaïque s’est donc récemment développée autour de trois grands enjeux : la transition énergétique et le besoin de développer les EnR ; l’adaptation au changement climatique des productions agricoles ; l’enjeu économique du complément de revenu pour les agriculteurs.

L’agrivoltaïsme : une pratique dont la définition pose question

Les installations photovoltaïques qualifiables d’agrivoltaïques sont définies par l’ADEME comme des « installations permettant de coupler une production photovoltaïque secondaire à une production agricole principale en permettant une synergie de fonctionnement démontrable. Dans ce cas, les innovations concerneront des systèmes photovoltaïques équipés d’outils et de services de pilotage permettant d’optimiser les productions agricole et électrique. »

La loi stipule qu’une installation agrivoltaïque doit apporter directement à la parcelle agricole un des 4 services suivants, au moins :

  • L’amélioration du potentiel et de l’impact agronomiques (doit être évalué à l’aune des pratiques d’utilisation des sols, de l’avifaune, de l’écosystème agricole ou du bilan carbone) ;
  • L’adaptation au changement climatique ;
  • La protection contre les aléas ;
  • L’amélioration du bien‑être animal.

De plus, il faut que l’activité agricole de la ferme reste l’activité principale (peut être évalué au regard du volume de production, du niveau de revenu ou de l’emprise au sol), et que les installations agrivoltaïques soient réversibles.

De plus les installations agrivoltaïques sont éligibles aux aides PAC. Tout projet agrivoltaïque passe devant la Commission départementale de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF). Celle-ci peut proposer une charte départementale contraignante, régissant les critères favorisant la réussite d’un projet agrivoltaïque sur son territoire.

Des enjeux encore peu documentés

Biodiversité et bien-être animal :

Le maintien de la biodiversité est un facteur déterminant dans le maintien d’une production agricole de qualité. Aujourd’hui, il n’est pas prouvé que l’agrivoltaïsme n’a pas d’impact sur la biodiversité. La présence de panneaux photovoltaïques dans les champs impacte négativement la pollinisation. De plus, les panneaux photovoltaïques peuvent affecter les aires de répartition des espèces en fragmentant encore un peu plus les milieux. Rappelons que plus d’une tiers des oiseaux ont disparus en France entre 2001 et 2018 (CNRS/MNHN)  et plus de 80% des insectes ont disparus en Europe en 30 ans (via Le Monde). De plus les panneaux photovoltaïques peuvent également moins produire d’électricité en période de pollinisation.
De plus, à ce jour, aucune étude ne prouve que les animaux qui pâturent sous les panneaux photovltaïques ne ressentent aucun désagrément. Le bien-être animal en plein-air est questionné par les panneaux photovoltaïques des projets agrivoltaïques.

Artificialisation des sols :

Dans la législation, l’agrivoltaïsme n’est pas considéré comme artificialisant les sols, car la pose de panneaux photovoltaïques dans les champs productifs est réversible. Pour être posés les panneaux photovoltaïques doivent tout de mêmes être enfoncés profondément dans le sol. Cela pose des questions quant à la répercussion de cette pose sur les sols, leur structuration.

Il existe par ailleurs une difficulté à la mise en œuvre des projets au regard du droit de l’urbanisme. Des questions se posent sur la nature des terres agricoles et leurs conversion éventuelles vers d’autres types de productions, considérant que s’il n’était pas obligatoire de conserver sa production initiale pour faire de l’agrivoltaïsme, toutes les conversions n’étaient pas envisageables (ex : parcelle mellifère remplaçant terres céréalières), le potentiel agronomique bas de la parcelle pour justifier un projet ne semble pas suffisante[1].

[1] Tiré de : Mouratoglou, D. ; P. Elfassi – « Développement d’un projet d’agrivoltaïsme : cadre juridique et points d’attention » ; 2020, Actu-environnement (blog)

Contractualisation, précarité foncière et agricole :

La pose de panneaux photovoltaïques dans les champs, parfois sur plusieurs hectares, a un cout très important. Il existe donc des entreprises intermédiaires qui achètent et posent les panneaux photovoltaïques, et proposent aux agriculteurs une rétribution pour service rendu. Les mécanismes de contractualisation varient selon les opérateurs techniques. En général, un développeur photovoltaïque achètent les panneaux et bénéficie de la revente de l’électricité produite, il paye un loyer sur les terres agricoles sur lesquelles les panneaux sont installés, dont une partie va au propriétaire des terres et l’autre à l’agriculteur. L’agriculteur bénéficie alors d’un complément de revenu pour avoir laissé s’installer ce type de panneaux, et parfois l’entretien du parc photovoltaïque. Une prime d’intéressement est aussi proposé à l’agriculteur au bout ‘une vingtaine d’années d’exploitation. Le développeur photovoltaïque signe alors un bail emphytéotique avec le propriétaire. L’agriculteur perd son contrat de fermage et signe à la place un commodat. Le projet agrivoltaïque est suivi dans le temps et du conseil agronomique réalisé par le développeur photovoltaïque ou ses partenaires, tels que des groupements agricoles.

La contractualisation d’un projet agrivoltaïque pose question quant à la sécurité foncière des exploitations agricoles. Sans fermage les agriculteurs sont en précarité foncière. Le prix du foncier agricole peut augmenter avec l’arrivée de l’agrivoltaïsme. La spéculation foncière est un angle mort de la règlementation sur l’agrivoltaïsme aujourd’hui. Elle aura un impact sur la transmission des fermes. A l’heure où le renouvellement des générations est un enjeu majeur pour l’agriculture et le maintien des terres bio en bio est un enjeu du réseau FNAB, l’agrivoltaïsme peut être vu à la fois comme une opportunité mais aussi un frein pour les futurs ou nouveaux installés.

Agronomie :

Dans les projets agrivoltaïques actuels, le taux de recouvrement des sols (GCR en anglais : Ground Coverage Ratio ; c’est le rapport entre la surface de panneaux et la surface de sol), des parcelles agricoles par les PV est de l’ordre de 50%, en moyenne. Ce taux diffère selon les filières de production agricoles puisque chaque production agricole est à relier à une typologie de panneaux photovoltaïques adaptée.

Selon l’INRAe, les impacts de l’ombrage fourni par les panneaux photovoltaïques sur les cultures sont acceptables (quasi-normaux) lorsque les parcelles sont recouvertes à 25% par des panneaux photovoltaïques[1]. Les enjeux d’économie d’échelle propres aux développeurs photovoltaïques se heurtent donc à ceux d’une production agricole durable et pérenne dans le temps. Le risque est fort pour la production agricole qui doit à la fois s’assurer que les productions puissent répondre à l’urgence des sècheresses en bénéficiant d’ombrage ; et répondre à l’enjeu plus long terme de l’adaptation de l’agriculture et de maintien de souveraineté alimentaire.

De plus, le suivi agronomique de projets agrivoltaïques nécessite des protocoles strictes et sans cela la pertinence agronomique de tels projet peut être remise en cause. L’ADEME pointe d’ailleurs ce manque de recul scientifique et recommande d’aborder l’agrivoltaïsme avec prudence.


[1] Mise en évidence de rendements diminués sous un dispositif à pleine densité, et de rendements maintenus sous un dispositif à demi-densité :
Pour la laitue : Marrou H, Wery J, L. Dufour, C. Dupraz (2013) Productivity and radiation use efficiency of lettuces grown in the partial shade of photovoltaic panels. European Journal of Agronomy 44: 54-66Une synthèse mondiale des effets de l’ombre sur les cultures : Laub M, Pataczek L, Feuerbacher A, Zikeli S, Hogy P (2022) Contrasting yield responses at varying levels of shade suggest different suitability of crops for dual land-use systems: a meta-analysis. Agron Sustain Dev 42

Finalement, l’état de l’art et la rencontre de divers acteurs sur le sujet fait état d’un manque de recul certain sur la technique de l’agrivoltaïsme. Très peu d’études scientifiques démontrent à la fois l’efficacité économique (pour l’agriculture) et environnementale de ce modèle qu’est l’agrivoltaïsme.

Quelles réflexions portent le réseau de l’agriculture Biologique ?

Afin de répondre aux objectifs de transition énergétique, la  FNAB recommande avant tout de favoriser le développement du photovoltaïque sur les bâtiments agricoles existants lorsque cela est possible, prioritairement au photovoltaïque sur terrains agricoles.

La FNAB se positionne pour une sobriété énergétique et alimentaire. La production électrique renouvelable des années à venir doit pouvoir se substituer à la production d’énergie fossile et ne pas concourir à des modèles toujours plus énergivores. Hors, il semble que les projets agrivoltaïques ne sont pas systématiquement pensés pour augmenter l’indépendance énergétique des agriculteurs.

La FNAB reconnaît que l’agrivoltaïsme peut, dans certaines filières, être une solution pour s’adapter au changement climatique. L’agrivoltaïsme n’est pas à opposer à d’autres pratiques agronomiques permettant l’adaptation au changement climatique. En effet, des pratiques agronomiques telles que l’agroforesterie sont des solutions pour développer une agriculture biologique plus résiliente face au changement climatique. Ces pratiques ne peuvent être mises en concurrence, dans l’accompagnement des agriculteurs biologiques vers l’adaptation au changement climatique.

La charte FNAB rappelle que les valeurs du réseau s’attachent à la mise en valeur de productions respectueuses des enjeux environnementaux, mais aussi des enjeux de société et de partage des ressources. Les paysages faisant partie intégrante des écosystèmes, il est important de rappeler que les projets photovoltaïques peuvent dénaturer les paysages. S’il n’y a pas d’incompatibilité Bio à la pratique agrivoltaïque, les principes de l’agriculture biologique reposent notamment sur le respect et la préservation de la qualité des paysages naturels (RUE 848/2018, Art. 5,b).

La FNAB rappelle que l’agrivoltaïsme est une pratique incertaine par manque de données scientifiques. Elle propose, sur demande, une grille qualifiant les projets vertueux pour accompagner le développement de l’agrivoltaïsme en agriculture biologique.

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